lundi 31 août 2009
126 - Entre la réalité et son exposé...
Entre la réalité et son exposé, il y a ta vie qui magnifie la réalité, et cette abjection nazie qui ruine son exposé.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Ce blog est ouvert à tous et celles qui voudront contribuer en temps direct à une oeuvre collective et évolutive de traductions de quelques aphorismes du recueil "Feuillets d'Hypnos", du poète surréaliste et résistant René Char, dans toutes les langues et dialectes de l'humanité. (Weblog contributif proposé par la "Fête des langues" de Nantes, organisée sans subvention par l'association "Nantes Est Une Fête - N.e.u.f.").
***
Chantier contributif multilangues de la Fête des langues de Nantes, ouvert sur le blog :
http://touteslanguespourrenechar.blogspot.fr
2
Ne t'attarde pas à l'ornière des résultats.
1-Comment je ressens cela ? Quelles images mentales me sont évoquées, apportées, provoquées par cet aphorisme de René Char ?
Une réponse possible de LD :
Je vois d'abord la réalité matérielle d'une ornière, donc des traces creusées par le passage répété de roues sur le sol. Chez moi, l'ornière se présenterait presque toujours en forêt, peut-être par expérience personnelle et peut-être par influence de la sonorité du mot lisière avec ornière (?). Facilement, j'y associerai l'image d'un équipage à traction animale peinant dans la boue.
2-Comment je comprends ce qu'a voulu dire René Char ? Mes hypothèses de sens.
Une réponse possible de LD :
Le poète recommande de ne pas s'attarder à l' « ornière », qui évoque les significations d'enlisement, de freinage, d' embourbement, avec très probablement le sens particulier de conventions, habitude, routine, conformisme, autant de métaphores des ornières qu'on peut rencontrer dans la vie personnelle et sociale. Mais de quelle ornière s'agit-il précisément ici ? Celle « des résultats ». Donc le poète suggère que la quête du résultat ne doit pas être un but en soi, et qu'en tous cas il ne faut pas s'y attarder longtemps, soit parce que ce résultat apparent n'est pas si important, soit parce ce que ce résultat peut se révéler un cadeau empoisonné qui enliserait et emprisonnerait par le confort qu'il apportera, soit aussi parce qu'il faut savoir ne pas rester sur un acquis ou un succès, et sans attendre prendre un nouveau départ vers de nouveaux enjeux. Le contexte de la lutte résistante au sein du maquis est bien évidemment présent, mais cet aphorisme parle clairement au présent de « vérité générale », pour toutes les situations humaines. Le tutoiement « Ne t'attarde pas », qu'on retrouve dans d'autres aphorismes, s'adresse à un interlocuteur, comme pour un conseil d'ami, une recommandation, mais aussi comme un dialogue intérieur, une introspection personnelle, celle de René Char, poète, s'adressant au combattant qu'il est sous le pseudonyme de capitaine Alexandre, et l'interpellant.
3-Chantier de traduction : comment je traduis ces mots dans une langue autre que le français ?
Une traduction dans la langue . . . . . . . . . . . . proposée par . . . . . . . . . . . . . . . . :
- . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
-
II- Deuxième aphorisme choisi
34
Épouse et n'épouse pas ta maison.
1-Comment je ressens cela ? Quelles images mentales me sont évoquées, apportées, provoquées par cet aphorisme de René Char ?
Une réponse possible de LD :
En français, la conjugaison du verbe épouser au singulier est un mot homophone de la personne de l' « épouse », la femme mariée. On voit cette femme, et on voit également cette maison, comme une maisonnée, donc probablement avec des enfants présents ou à venir. Et même un jardin comme dans les contes de fées qui se terminent bien.
2-Comment je comprends ce qu'a voulu dire René Char ? Mes hypothèses de sens.
Une réponse possible de LD :
Epoux ou épouse, au lieu de mari et femme, emploie une langue littéraire ou précieuse. Le verbe épouser a pris également le sens de « s'adapter parfaitement » (épouser une courbe, une trajectoire) et aussi d' « adopter », « faire sien ». C'est ce sens figuré qui est connoté ici car ce n'est pas une femme qui est épousée, mais une « maison », avec tous les sens de ce mot : batiment d'habitation, mais aussi « foyer » et ensemble des habitants et personnels de cette maison, entreprise ou établisseent, communauté (« j'ai fait plusieurs maisons »), dynastie (« maison royale »). Voir aussi le « fait maison », « genre maison » (propre à la mentalité, à l'esprit d'un groupe ou d'une institution).
Nous formons l'hypothèse que le poète évoque métaphoriquement par le mot « maison » l'ensemble des communautés humaines auxquelles un homme peut être rattaché, par choix ou par naissance : famille, patrie, religion, mais aussi toute appartenance géographique, ethnique, culturelle, sexuelle, y compris les organisations sociales telles que les partis et choix ou engagements, convictions politiques et culturelleS. La recommandation du poète est apparemment brutalement contradictoire : « Epouse et n'épouse pas... », c'est à dire sois capable d'épouser pleinement une communauté d'identité, d'intérêt, de valeurs, d'y prendre toute ta place (y compris avec toute la promesse de bonheurs divers, charnels, amoureux, procréateurs, générateurs des riches significations du verbe « épouser »). Mais attention, sois simultanément capable de ne pas en être prisonnier, de savoir t'en défaire, de prendre du recul, de connaître d'autres expériences diversifiées, d' « épouser » peut-être d'autres maisons, d'autres mentalités, de savoir traverser la barrière des identités fermées sur elles-mêmes.
Le poète a probablement ressenti les dangers du fanatisme qui vient en tentation de tout engagement violent et guerrier, ici dans la Résistance anti-nazie, et la nécessité de se déprendre des affects immédiats de l'embrigadement, pour voir plus loin. Et puis là encore, il a parlé pour toutes les expériences humaines, y compris pour le temps de paix retrouvée. Ce vers est un poème de formation, un peu comme les « romans de formation ».
3-Chantier de traduction : comment je traduis ces mots dans une langue autre que le français ?
Une traduction dans la langue . . . . . . . . . . . . proposée par . . . . . . . . . . . . . . . . :
- . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
-
III-Troisième aphorisme choisi
35
Vous serez une part de la saveur du fruit.
1-Comment je ressens cela ? Quelles images mentales me sont évoquées, apportées, provoquées par cet aphorisme de René Char ?
Une réponse possible de LD :
Je vois le fruit, quelque chose de particulièrement goûteux et délectable, comme une poire ou une pêche dans un moment de soif, en raison également de la sonorité savoureuse de l'allitération des quatre « r ». Et je vois aussi un fruit assez imposant qui se découpe fraternellement en « part ». Et je vois l'arbre producteur !
2-Comment je comprends ce qu'a voulu dire René Char ? Mes hypothèses de sens.
Une réponse possible de LD :
Le poète emploie ici un vouvoiement collectif. C'est le poète s'adressant au monde, mais c'est d'abord le capitaine Alexandre s'adressant à ses maquisards, sur la vie et les espoirs desquels il était très attentif. Mais sa promesse de chef est infiniment plus élévée et idéaliste qu'une autorisation de rapines et de mises à sac, comme celle du jeune Bonaparte s'emparant de l'Italie avec ses soldats («Soldats, vous êtes nus, mal nourris; (...) Je veux vous conduire dans les plus fertiles plaines du monde. De riches provinces, de grandes villes seront en votre pouvoir; vous y trouverez honneur, gloire et richesses »).
Plus qu'à un prédateur chasseur-cueilleur de fruits, le poète parle ici directement à l'arbre qui patiemment prépare la germination et la fructification.
Car le fruit que propose René Char n'est pas une aubaine, une prise de guerre, une proie ou une faveur sans mérite. C'est le fruit d'un acte créateur à venir, quand tout est encore à faire : « vous serez une part ». Le « fruit » est donc ici la métaphore d'une œuvre, d'une réalisation collective.
Et surtout, cet acte créateur, dans chacune de ses composantes, ne sera pas sans influence sur la réalité future du fruit obtenu.
Car la forme de ce fruit n'est pas fixée d'avance. Il aura une saveur imprévisible, car l'histoire humaine reste ouverte. Le but final est déjà préfiguré dans les moyens employés pour y parvenir. L'objectif se définit en marchant.
La victoire sera ce que vous aurez voulu et entrepris, ensemble et individuellement. Et chacun y met du sien : cela se reconnaîtra dans cette « saveur » incomparable de l'oeuvre accomplie. Chaque participation particulière et personnelle apportera une touche unique, irremplaçable et imprévisible : couleur, consistance, saveur du fruit obtenu. Ceci s'applique à toutes les entreprises humaines généreuses, au delà de la seule libération du nazisme.
3-Chantier de traduction : comment je traduis ces mots dans une langue autre que le français ?
Une traduction dans la langue . . . . . . . . . . . . proposée par . . . . . . . . . . . . . . . . :
- . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
-
IV-Quatrième aphorisme choisi
39
Nous sommes écartelés entre l'avidité de connaître et le désespoir d'avoir connu. L'aiguillon ne renonce pas à sa cuisson et nous à notre espoir.
1-Comment je ressens cela ? Quelles images mentales me sont évoquées, apportées, provoquées par cet aphorisme de René Char ?
On n'utilise plus que rarement le mot aiguillon pour désigner la pointe qui servait à piquer les animaux de trait pour les faire avancer, mais le sens est resté pour indiquer tout ce qui stimule ou qui est stimulé, avec le sens de particulier de la concupiscence dans l'expression « aiguillon de la chair ». Le poète emploie le mot « cuisson » pour désigner la piqure de l'aiguillon, car la douleur provoquée brûle effectivement, un peu comme dans l'expression française : « Il vous en cuira ». Voici donc les images concrètes qui se lèvent : un aiguillon métallique, éventuellement chauffé à blanc, qui lacère un être vivant, lequel se met en mouvement irrésistiblement.
2-Comment je comprends ce qu'a voulu dire René Char ? Mes hypothèses de sens.
Une réponse possible de LD :
Je note que le poète emploie un lexique puissant, âpre et dramatiquement expressif : « écartelés », « avidité » (désir ardent et vorace qu'on ne peut modérer ou réfreiner), « désespoir », « aiguillon », « cuisson »...
Nous imaginons que l'aiguillon est une métaphore de l'avidité de connaître, laquelle est plus que de la curiosité, mais l'impatience de savoir, un peu comme dans le mythe biblique de la « pomme de la connaissance ». Mais pour savoir quel mystère ? Les chances de réussites de nos actions ? Ou bien au delà le sens profond de notre destinée ? L'énigme de l'existence du mal, illustré par l'expérience nazie ?
En tous cas, ce désir est tragique, car l'être humain en proie à ce désir est « écartelé », mot qui évoquait le supplice de l'écartèlement avant de prendre le sens d'être divisé cruellement entre plusieurs tendances contraires.
Ces deux contraires opposés comme des pôles magnétiques sont clairement énoncés par le poète : le désir de « connaître » et « le désespoir d'avoir connu ». Toute connaissance ne serait donc que déception et déclassement ? On peut imaginer ici cependant le rôle positif de la maturité, celle que donne la fin de l'innocence qu'est toute sortie de l'enfance et de la naïveté. Après la guerre et le nazisme, le philosophe Adorno se demandera s'il est encore possible de faire de la poésie maintenant qu'on sait de quelle barbarie l'homme est capable. Mais René Char semble lui répondre par avance, par cette formule en chiasme (croisement) qui met en tension créatrice les couples opposés de l' « espoir » et du « désespoir » d'une part, de l' « avidité » et de la « cuisson » d'autre part.
Cette avidité ou cuisson énigmatiques, c'est précisément la réponse que donneront souvent après guerre les Résistants comme cause de leur courage inexplicable : Parce qu'ils ne pouvaient pas faire autrement que de se révolter, de risquer leur vie. C'était plus fort qu'eux. C'est un aiguillon puissant dont la « cuisson » fait éprouver le « désespoir » et les découragements (les échecs et tragédies de la Résistance), mais qui seule est à même de maintenir malgré tout « l'espoir » auquel on ne « renonce » pas. Là aussi, cet aphorisme est envisageable dans d'autres circonstances que celles de la Seconde guerre mondiale, selon la célèbre formule offerte par la résistante Lucie Aubrac : « Résister se conjugue au présent ».
3-Chantier de traduction : comment je traduis ces mots dans une langue autre que le français ?
Une traduction dans la langue . . . . . . . . . . . . proposée par . . . . . . . . . . . . . . . . :
- . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
-
V-Cinquième aphorisme choisi
72
Agir en primitif et prévoir en stratège.
1-Comment je ressens cela ? Quelles images mentales me sont évoquées, apportées, provoquées par cet aphorisme de René Char ?
Une réponse possible de LD :
Le mot primitif désigne des groupes humains ignorant l'écriture et le développement technologique, mais dont les raffinements culturels et l'harmonie écologique ne permettent plus d'être qualifiés péjorativement d'arrièrés ou d'attardés, dans une conception naïvement évolutionniste. Nous voyons ici ce primitif comme un être adapté à la nature, en faisant encore partie, dans une imagerie marquée pour nous Occidentaux par les conceptions opposées de la brute et du « bon sauvage ».
2-Comment je comprends ce qu'a voulu dire René Char ? Mes hypothèses de sens.
Une réponse possible de LD :
René Char évoque ici deux qualités absolument indispensables au Résistant maquisard, confronté à tous les dangers les plus redoutables, et simultanément porteur des plus hautes aspirations idéales. Agissant « en primitif », il fait confiance à son instinct et à la nature qui lui est une alliée protectrice. « Primitif », le voici devenu pauvre et frugal, matériellement et moralement. Il fait l'expérience exceptionnelle d'un ressourcement et d'un dépouillement radical : le danger, et la fraternité dans les dangers, lui font abandonner tout un fardeau d'hypocrisies et de conventions du monde moderne et prétendument civilisé. Il n'y a plus de « langues de bois » possible. Les mots dans la résistance ont retrouvé leur sens premier. Pour autant, le résistant n'est pas un enfant sauvage soumis à l'immédiateté des affects, car il est aussi un « stratège », capable de « prévoir » les chances et malchances des circonstances, mais aussi le sens moral et éthique de son action responsable. Encore une leçon applicable en dehors de la Résistance historique.
3-Chantier de traduction : comment je traduis ces mots dans une langue autre que le français ?
Une traduction dans la langue . . . . . . . . . . . . proposée par . . . . . . . . . . . . . . . . :
- . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
-
114
Je n'écrirai pas de poème d'acquiescement.
1-Comment je ressens cela ? Quelles images mentales me sont évoquées, apportées, provoquées par cet aphorisme de René Char ?
Une réponse possible de LD :
Ce qu'on voit peut-être ici d'abord, c'est le poète lui même qui prononce cette fière promesse d'insoumission, et la façon dont il la déclare avec une sobriété fulgurante, sans forfanterie ni énervement inutile ou orgueil déplacé, avec une force sereine et peut-être souriante, comme une promesse de soi à soi, une certitude tranquille.
2-Comment je comprends ce qu'a voulu dire René Char ? Mes hypothèses de sens.
Une réponse possible de LD :
On sait que René Char a cessé de publier pendant toute la durée de la guerre, même si ces Feuillets d'Hypnos conçus au maquis sont l'indice qu'il n'a jamais cessé d'écrire. Mais cette forte déclaration dépasse les circonstances de la guerre. C'est le poète éternel qui dit « je » et qui proclame qu'il ne peut y avoir de poésie d'acquiescement (cette forme parfois lâche de l'acceptation de l'injustice ou de la laideur), de soumission, de compromis, de connivence. Dans le même recueil, il a écrit aussi : « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience » et puis aussi cet aphorisme (d'ailleurs souvent malheureusement pris à contre-sens comme une devise par certains carriéristes décomplexés pour justifier leur soumission aux appétits égoïstes » : « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s'habitueront ». On sait qu'après la guerre René Char renoncera aux honneurs et aux privilèges et qu'il s'insurgera encore pour d'autres causes, comme le désarmement nucléaire.
3-Chantier de traduction : comment je traduis ces mots dans une langue autre que le français ?
Une traduction dans la langue . . . . . . . . . . . . proposée par . . . . . . . . . . . . . . . . :
- . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
-
VII-Septième aphorisme choisi
120
Vous tendez une allumette à votre lampe et ce qui s'allume n'éclaire pas. C'est loin, très loin de vous, que le cercle s'illumine.
1-Comment je ressens cela ? Quelles images mentales me sont évoquées, apportées, provoquées par cet aphorisme de René Char ?
Une réponse possible de LD :
L'image évoque simplement les soirées dans les campagnes d'autrefois avant l'arrivée de l'électricité, lorsqu'on allume la lampe et que sa lumière précaire jette sa lueur face à la nuit tombée.
2-Comment je comprends ce qu'a voulu dire René Char ? Mes hypothèses de sens.
Une réponse possible de LD :
Qu'est ce qu'une lumière pour le poète ? Une parole qui révèle ? Une action qui éclaire et embellit le monde ? Les deux sans doute, car la parole est action. Ce que nous apprend ici le poète c'est que la conséquence de nos actions est parfois différée. On croit faire la lumière auprès des gens à qui elle était explicitement destinée. Et puis finalement, c'est « loin, très loin de vous » qu'elle opère son effet. Ce qui signifie qu'il ne faut pas s'alarmer ou s'aigrir quand notre lampe « n'éclaire pas » qui pourtant « s'allume », en vain croit-on. Qu'il ne faut pas sous-estimer la portée lointaine et méconnue de nos actions. Qu'il ne faut pas sous-estimer non plus les qualités humaines, les potentialités de créativité, des personnes qui à première vue nous sembleraient les plus « loin de vous » : étrangers d'origine ou de classe sociale, personnes de convictions et de culture opposées, personnes éloignées à cause de malentendus superficiels.
Cette maxime de valeur générale a peut-être été illustrée particulièrement chez le poète René Char en observant la diversité des parcours des Résistants, qui provenaient de la droite comme de la gauche, des milieux ouvriers comme des intellectuels, des croyants comme des incroyants, etc. Tandis que certains milieux proches qu'on aurait cru plus sensibles à l'exigence antifasciste sont restés attentistes ou pire collaborateurs des Nazis.
3-Chantier de traduction : comment je traduis ces mots dans une langue autre que le français ?
Une traduction dans la langue . . . . . . . . . . . . proposée par . . . . . . . . . . . . . . . . :
- . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
-
VIII-Huitième aphorisme choisi126
Entre la réalité et son exposé, il y a ta vie qui magnifie la réalité, et cette abjection nazie qui ruine son exposé.
1-Comment je ressens cela ? Quelles images mentales me sont évoquées, apportées, provoquées par cet aphorisme de René Char ?
Une réponse possible de LD :
Ici, pas d'images immédiate. Car le poète a employé des mots très abstraits. L'expression la plus forte est « cette abjection nazie », le mot abjection désignant un degré extrême et profondément méprisable de dégradation ou d'abaissement, en particulier dans le domaine moral. René Char n'a pas hésité parfois à employer le vocabulaire du vomissement et de l'excrémentiel pour dire son dégoût face au nazisme. Mais quelle serait l'image concrète qui nous viendrait maintenant ? On le sait : depuis la libération des camps nazis, l'image qui hante la conscience mondiale est celle de cadavres décharnés et livides et morts vivants, victime du système concentrationnaire et exterminateur hitlérien. Et René Char semblait avoir pressenti cette image insoutenable quand il avait écrit « La pyramide des martyrs obsède la terre »1. Mais il existe pour le poète une image plus familière, mais tout aussi redoutable, qui est celle de la tentation de se faire complice du nazisme : « la renonciation à visage de lâche, la sainteté du mensonge, l'alcool du bourreau »2 : ce sont ces trois moments emblématiques de la collaboration vichyste que nous retiendrons comme image concrète et vécue de l'abjection.
2-Comment je comprends ce qu'a voulu dire René Char ? Mes hypothèses de sens.
Une réponse possible de LD :
Cet aphorisme est particulièrement difficile. Lorsque René Char distingue « la réalité » et « son exposé », il opère une distinction comparable à celle des choses et des mots, du signifié et du signifiant (comme disent les linguistes). Car c'est d'abord une préoccupation de poète de se préoccuper du langage, du dépassement presque impossible de la séparation entre la poésie et la vraie vie.
Justement, la vie (la tienne, poète-résistant, ou la tienne, compagnon de lutte du poète?) « magnifie la réalité », ce qui veut dire à la fois qu'elle la célèbre, qu'elle l'exalte (fonction de la poésie), et aussi qu'elle l'agrandit, qu'elle la rend meilleure (fonction du résistant). Cette double tâche est donc bien « entre la réalité et son exposé ». C'est peut être ainsi que René Char retient l'intuition de ses amis surréalistes selon qui la poésie « change la vie » comme l'avait voulu Rimbaud, et qu'on peut tenter de réconcilier les contraires, comme l'avait dit André Breton dans le Second manifeste du Surréalisme : « Tout porte à croire qu'il existe un certain point de l'esprit d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l'incommunicable, le haut et le bas cessent d'être perçus contradictoirement. Or c'est en vain qu'on chercherait à l'activité surréaliste un autre mobile que l'espoir de détermination de ce point. » Ainsi René Char dépasse la distinction entre poésie et monde réel (« la réalité ») comme il dépasse aussi la séparation entre poète et résistant.
À partir de ce constat, on peut faire l'hypothèse que le poète, après cette tentative sublime, est ramené au stade du sordide, du danger, de la barbarie de « l'abjection nazie » parce qu'elle celle-ci « ruine son exposé », car son champ de ruines total et totalitaire écrase à la fois la poésie, en tant qu'il détruit la langue par son style idéologique totalitaire codé (« l'exposé »), et qu'il détruit également la « réalité » de la « vie ». Le nazisme pose effectivement un double défi tragique : à la fois à la fonction de la langue poétique, et à la dignité humaine, qui ne peuvent se sauver l'une et l'autre que par le choix concret, personnel et collectif, de la Résistance en acte. (Mais nous laissons ouvertes la possibilités d'autres hypothèses de sens).
3-Chantier de traduction : comment je traduis ces mots dans une langue autre que le français ?
Une traduction dans la langue . . . . . . . . . . . . proposée par . . . . . . . . . . . . . . . . :
- . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
-
IX-Neuvième aphorisme choisi
131
À tous les repas pris en commun, nous invitons la liberté à s'asseoir. La place demeure vide mais le couvert reste mis.
1-Comment je ressens cela ? Quelles images mentales me sont évoquées, apportées, provoquées par cet aphorisme de René Char ?
Une réponse possible de LD :
Nous voyons une scène primordiale : Cène biblique ou banquet des dieux olympiens, symposium « pris en commun » de l'idéal socialiste utopique et adelphique (fraternel). La table collective est nappée de blanc immaculé et les couverts sont mis. La place demeurée « vide » est fulgurante par la haute présence de l'absence symbolisée.
2-Comment je comprends ce qu'a voulu dire René Char ? Mes hypothèses de sens.
Une réponse possible de LD :
René Char tente de nous faire ressentir l'immense bonheur d'être en accord avec ses convictions, payé au prix maximal, qu'ont éprouvé les Résistants pendant ces années de péril. Bonheur inquiet et insatisfait, mais bonheur plein, nourri notamment par la fraternité, l'amitié en acte des compagnonages dans la lutte (cette amitié que les Grecs nommaient « philia », nous dit Jean-Pierre Vernant). Lucide, le poète sait que la liberté intégrale est une déesse qui n'est pas de ce monde (puisqu'elle supposerait également le langage surhumain d'une liberté poétique intégralement accomplie et partagée), mais seul ce banquet peut, sans ridicule ni imposture, la convier et lui garder une place authentique.
Sur cette expérience éphémère du bonheur des résistants, maints fois évoquée, nous ne pouvons que renvoyer à un magnifique et pénétrant texte de la philosophe Hannah Arendt, qui part précisément de la poésie de René Char :
« Notre héritage n’est précédé d’aucun testament. » Voilà peut-être le plus étrange des aphorismes étrangement abrupts dans lesquels le poète René Char condensa l’essence de ce que quatre années dans la Résistance en étaient venues à signifier pour toute une génération d’écrivains et d’hommes de lettres européens. (…) Après quelques courtes années ils furent libérés de ce qu’ils avaient pensé à l’origine être un « fardeau » et rejetés dans ce qu’ils savaient maintenant être l’idiotie sans poids de leurs affaires personnelles, une fois de plus séparés du « monde de la réalité » par une épaisseur triste3, l’ « épaisseur triste » d’une vie privée axée sur rien sinon sur elle-même. (...) Ce que Char avait prévu, clairement anticipé, tandis que le combat réel durait encore — « Si j’en réchappe, je sais que je devrai rompre avec l’arôme de ces années essentielles, rejeter (non refouler) silencieusement loin de moi mon trésor » — était arrivé. Ils avaient perdu leur trésor.
Quel était ce trésor ? Tel qu’eux-mêmes le comprenaient, il semble qu’il ait consisté, pour ainsi dire, en deux parts étroitement liées : ils s’étaient aperçus que celui qui « a épousé la Résistance, a découvert sa vérité », qu’il cessait de se chercher « sans jamais accéder à la prouesse, dans une insatisfaction nue », qu’il ne se soupçonnait plus lui-même d’ « insincérité», d’être « un acteur de sa vie frondeur et soupçonneux », qu’il pouvait se permettre d’ « aller nu». Dans cette nudité., dépouillés de tous les masques — de ceux que la société fait porter à ses membres aussi bien que de ceux que l’individu fabrique pour lui-même dans ses réactions psychologiques contre la société — ils avaient été visités pour la première fois dans leurs vies par une apparition de la liberté, non, certes, parce qu’ils agissaient contre la tyrannie et contre des choses pires que la tyrannie — cela était vrai pour chaque soldat des armées alliées — mais parce qu’ils étaient devenus des « challengers », qu’ils avaient pris l’initiative en main, et par conséquent, sans le savoir ni même le remarquer, avaient commencé à créer cet espace public entre eux où la liberté pouvait apparaître. « A tous les repas pris en commun, nous invitons la liberté à s’asseoir. La place demeure vide mais le couvert reste mis. »
Les hommes de la Résistance européenne n’étaient ni les premiers ni les derniers à perdre leur trésor. L’histoire des révolutions — de l’été 1776 à Philadelphie et de l’été 1789 à Paris à l’automne 1956 à Budapest —, ce qui signifie politiquement l’histoire la plus intime de l’âge moderne, pourrait être racontée sous la forme d’une parabole comme la légende d’un trésor sans âge qui, dans les circonstances les plus diverses, apparaît brusquement, à l’improviste, et disparaît de nouveau dans d’autres conditions mystérieuses, comme s’il était une fée Morgane. »4
3-Chantier de traduction : comment je traduis ces mots dans une langue autre que le français ?
Une traduction dans la langue . . . . . . . . . . . . proposée par . . . . . . . . . . . . . . . . :
- . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
-
X-Dixième aphorisme choisi
156
Accumule, puis distribue. Sois la partie du miroir de l'univers la plus dense, la plus utile et la moins apparente.
1-Comment je ressens cela ? Quelles images mentales me sont évoquées, apportées, provoquées par cet aphorisme de René Char ?
Une réponse possible de LD : Je vois un miroir. Et comme ce miroir doit répondre à une demande précise « Accumule, puis distribue », je le vois donc avec une forme concentrique, recueillant les faisceaux de lumière solaire concentrée à la façon d'une loupe, puis la redistribuant souverainement dans l'espace.
2-Comment je comprends ce qu'a voulu dire René Char ? Mes hypothèses de sens.
Une réponse possible de LD : Toujours le tutoiement du maître au disciple, de l'ancien à l'élève, à moins que ce ne soit que le dialogue intérieur de René Char s'adressant à René Char lui même.
« Accumule, puis distribue » : il y a ici deux moments successifs. Car il faut d'abord avoir réuni quelque chose à posséder pour ensuite le partager. Et l'on n'oublie pas qu'on ne partage pas du bien dans la vie, mais aussi le mal nécessaire, qu'il peut s'agir aussi parfois de coups, de désaccords, d'interpellations, de chocs psychologiques, ou de rudes conflits visant à s'émanciper de l'oppression (avec peut-être l'aspiration généreuse et libertaire de libérer l'oppresseur de sa propre aliénation).
C'est l'injonction antique de l'Ecclésiaste (3.1-10) : « Il y a un moment pour tout et un temps pour toute activité sous le ciel: (…) un temps pour planter et un temps pour arracher ce qui a été planté, (…) un temps pour démolir et un temps pour construire, (…) un temps pour lancer des pierres et un temps pour en ramasser, (…) un temps pour se taire et un temps pour parler, (…) un temps pour la guerre et un temps pour la paix. » Etc.
Le poète nous invite fermement, chacun et chacune, à une immense ambition personnelle : il faut savoir être « la partie du miroir de l'univers la plus dense, la plus utile et la moins apparente », c'est à dire devenir un être conscient de sa destinée, utile et bienfaisant jusqu'à choisir de jouer un rôle clairement indispensable, - c'est un appel non déguisé à l'héroïsme, même si c'est un héroïsme du quotidien - mais sans ostentation ni vanité ou recherche de reconnaissance « apparente ».
« Partie de l'univers », car cette mission ne s'insère pas seulement dans la société des hommes, heureux ou malheureux, mais dans toute la nature peuplée d'amis et alliés, animaux et plantes, et dans le mystérieux univers cosmique où nous nous trouvons.
Mais pourquoi « miroir de l'univers », là où le mot univers aurait suffit ? Parce que René Char n'oublie pas la singularité de l'expérience du poète, à qui revient la mission de refléter, de donner à voir tout cet univers humain et cosmique, à le lire et à le comprendre. Sachant également que cette mission poétique n'est pas confiée à un corps spécialisé d'artistes, mais ouverte à qui veut, d'où la clarté de l'invitation, sans préalable.
3-Chantier de traduction : comment je traduis ces mots dans une langue autre que le français ?
Une traduction dans la langue . . . . . . . . . . . . proposée par . . . . . . . . . . . . . . . . :
- . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
-
XI-Onzième aphorisme choisi
165
Le fruit est aveugle. C'est l'arbre qui voit.
1-Comment je ressens cela ? Quelles images mentales me sont évoquées, apportées, provoquées par cet aphorisme de René Char ?
Une réponse possible de LD : Je vois le même fruit et le même arbre que dans l'aphorisme précédent.
2-Comment je comprends ce qu'a voulu dire René Char ? Mes hypothèses de sens.
Une réponse possible de LD : On poursuite la même métaphore filée que dans le passage précédent sur la saveur du fruit. Il ne faut pas se tromper de valeur essentielle. Une récompense n'est qu'un bienfait tangible, déjà inerte. Mais l'important est ailleurs, dans le sens qu'on met dans l'action, dans la lucidité agissante de l' « arbre » en gestation d'un fruit radicalement nouveau. Seul l' « arbre » le voit, ce fruit futur, parce que seul il peut en avoir l'intuition et le désir. On mesure ici l'équivalence posée dans une phrase contemporaine qui s'applique aux temps de guerre comme aux temps de paix : « Résister, c'est créer. Créer, c'est résister ».
3-Chantier de traduction : comment je traduis ces mots dans une langue autre que le français ?
Une traduction dans la langue . . . . . . . . . . . . proposée par . . . . . . . . . . . . . . . . :
- . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
-
XII-Douzième aphorisme choisi
169
La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil.
1-Comment je ressens cela ? Quelles images mentales me sont évoquées, apportées, provoquées par cet aphorisme de René Char ?
Une réponse possible de LD :
On voit un soleil aveuglant, et rien d'autre, car l'organe ayant subi « la blessure » du trop plein de lumière est précisément notre œil hyperlucide.
2-Comment je comprends ce qu'a voulu dire René Char ? Mes hypothèses de sens.
Une réponse possible de LD :
Cet aphorisme superbe autorise de nombreuses interprétations. Qu'est-ce que cette « blessure » ? Assurément, elle est parente de la piqure brûlante de l'aiguillon de la connaissance qui a été vu plus haut, provoquée par « l'avidité de connaître ». Si l'on se rapproche trop du soleil, on risque cette blessure, qui est le prix de la lucidité.
Car rien n'est donné facilement, et si René Char ne cède pas au désespoir, il n'est pas un écrivain optimiste.
L'homme a une grande capacité de déni et de refus de regarder la réalité en face, mais celui qui s'astreint à la lucidité s'oblige à voir les horreurs, la laideur, la souffrance et à comprendre les gestes de secours qu'elles attendent en urgence. Dans cette inondation de lumière éclatante, il devient lui même transparent, donc lui même vulnérable. Et invincible à la fois. Invincible, car cette blessure nécessaire, stigmate du ressuscité sorti de la résignation, n'est pas la mort, au contraire, et ce qui ne tue pas rend plus fort. Etc.
3-Chantier de traduction : comment je traduis ces mots dans une langue autre que le français ?
Une traduction dans la langue . . . . . . . . . . . . proposée par . . . . . . . . . . . . . . . . :
- . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
-
208
L'homme qui ne voit qu'une source ne connaît qu'un orage. Les chances en lui sont contrariées.
1-Comment je ressens cela ? Quelles images mentales me sont évoquées, apportées, provoquées par cet aphorisme de René Char ?
Une réponse possible de LD :
On voit la source (une fontaine ?) et on entend l'orage, dans un décor de nature provencale, près de chez René Char.
2-Comment je comprends ce qu'a voulu dire René Char ? Mes hypothèses de sens.
Une réponse possible de LD :
On retrouve ici le même conseil antiraciste et anti-exclusif que dans « Epouse et n'épouse pas ta maison ». Celui qui ne connaît qu'une source, celui qui reste attaché à son seul puit domestique, se prive de l'immensité et de la variété du monde. Il ne connaîtra pas le sentiment cosmique de l'ensemble des sources du monde, ruisselant silencieusement et résurgeant en rivières et fleuves jusqu'à la mer et aux nuages, comme un immense réseau attaché à toutes les connotations de l'eau : pureté, santé, vitalité, générosité, beauté. « Les chances en lui sont contrariées » car il ignore tant d'expériences et de beautés, et pire, sans même le soupçonner.
Mais pourquoi le poète parle-t-il ici plus d'orage que d'une simple pluie ? Parce que ce mot sonore évoque l'aspect salutaire des orages redoutés de l'été provençal, seuls à même de recharger providentiellement les réserves secrètes des sources, ces orages, bienfaiteurs brutaux faisant tonner la foudre, un peu comme le maquis résistant commandé par le capitaine Alexandre.
3-Chantier de traduction : comment je traduis ces mots dans une langue autre que le français ?
Une traduction dans la langue . . . . . . . . . . . . proposée par . . . . . . . . . . . . . . . . :
- . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
237
Dans nos ténèbres, il n'y a pas une place pour la Beauté. Toute la place est pour la Beauté.
1-Comment je ressens cela ? Quelles images mentales me sont évoquées, apportées, provoquées par cet aphorisme de René Char ?
Une réponse possible de LD :
Pas d'image concrète, sinon le combat éclatant de la lumière de la Beauté, contre les « ténébres ».
2-Comment je comprends ce qu'a voulu dire René Char ? Mes hypothèses de sens.
Une réponse possible de LD :
Pour cet ultime aphorisme qui clôt le recueil, nous retrouvons ici un écho du thème de la place vide, réservée à table pour la liberté, mais cette fois la liberté a pris un autre nom, ici divinisé avec lettre capitale, « la Beauté », cette souveraine combattante face à « nos ténèbres » multiformes, qui désignent les temps sombres de l'occupation nazie.
La Beauté, une souveraine consolatrice qui ne fait jamais défaut quand tout le reste manque cruellement : bien être, repos, affection, sécurité, succès, perspectives d'espoir.
Ces circonstances auraient pu suggérer que la préoccupation esthétique ou poétique ne devait plus être une priorité, alors que la maison brûle. Et que si l'art subsiste, il doit se laisser embrigader utilement dans les causes politiques les plus sacrées et se mettre humblement à leur service.
René Char dit tout simplement le contraire en quelque mots de grande force, et il fait ainsi la synthèse finale de siècles de débats traversant l'histoire de la littérature (avec les querelles de « l'art pour l'art » ou au contraire de l'art « engagé »).
D'une phrase, Char explique magnifie à la fois la poésie et la résistance politique, et les met en perspective, comme seul un grand poète-résistant peut le proclamer : Ce n'est pas à l'art de se mettre au service de la politique, mais à la politique de se mettre entièrement au service de la poésie, de la « Beauté », à qui est réservée « toute la place ». Car la Beauté est le fondement ultime de la destinée humaine, et donc également le sens profond de cette résistance anti-totalitaire et de toute autre résistance.
3-Chantier de traduction : comment je traduis ces mots dans une langue autre que le français ?
Une traduction dans la langue . . . . . . . . . . . . proposée par . . . . . . . . . . . . . . . . :
- . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1René Char, Le bouge de l'historien, in Seuls demeurent, Fureur et mystère, Pléiade 1983 p. 145.
2René Char, La liberté, in Seuls demeurent, Fureur et mystère, Pléiade 1983, p. 148.
3En français dans le texte.
4 Hannah ARENDT, « La crise de la culture – Huit exercices de pensée politique » (titre original : « Between past and future »), recueil de versions revues et augmentées d’articles parus dans des revues américaines entre 1954 et 1968. Traduction française sous la direction de Patrick Lévy, Gallimard 1972, édition de poche Folio-Essais. Préface du recueil par Hannah Arendt : « La brèche entre le passé et le futur », traduction française par Jacques Bontemps et Patrick Lévy, Folio Essais, pages 11 et suivantes.
Entre la réalité et son exposé, il y a ta vie qui magnifie la réalité, et cette abjection nazie qui ruine son exposé.
RépondreSupprimer1-Comment je ressens cela ? Quelles images mentales me sont évoquées, apportées, provoquées par cet aphorisme de René Char ?
Une réponse possible de LD :
Ici, pas d'images immédiate. Car le poète a employé des mots très abstraits. L'expression la plus forte est « cette abjection nazie », le mot abjection désignant un degré extrême et profondément méprisable de dégradation ou d'abaissement, en particulier dans le domaine moral. René Char n'a pas hésité parfois à employer le vocabulaire du vomissement et de l'excrémentiel pour dire son dégoût face au nazisme. Mais quelle serait l'image concrète qui nous viendrait maintenant ? On le sait : depuis la libération des camps nazis, l'image qui hante la conscience mondiale est celle de cadavres décharnés et livides et morts vivants, victime du système concentrationnaire et exterminateur hitlérien. Et René Char semblait avoir pressenti cette image insoutenable quand il avait écrit « La pyramide des martyrs obsède la terre »1. Mais il existe pour le poète une image plus familière, mais tout aussi redoutable, qui est celle de la tentation de se faire complice du nazisme : « la renonciation à visage de lâche, la sainteté du mensonge, l'alcool du bourreau »2 : ce sont ces trois moments emblématiques de la collaboration vichyste que nous retiendrons comme image concrète et vécue de l'abjection.
2-Comment je comprends ce qu'a voulu dire René Char ? Mes hypothèses de sens.
Une réponse possible de LD :
Cet aphorisme est particulièrement difficile. Lorsque René Char distingue « la réalité » et « son exposé », il opère une distinction comparable à celle des choses et des mots, du signifié et du signifiant (comme disent les linguistes). Car c'est d'abord une préoccupation de poète de se préoccuper du langage, du dépassement presque impossible de la séparation entre la poésie et la vraie vie.
Justement, la vie (la tienne, poète-résistant, ou la tienne, compagnon de lutte du poète?) « magnifie la réalité », ce qui veut dire à la fois qu'elle la célèbre, qu'elle l'exalte (fonction de la poésie), et aussi qu'elle l'agrandit, qu'elle la rend meilleure (fonction du résistant). Cette double tâche est donc bien « entre la réalité et son exposé ». C'est peut être ainsi que René Char retient l'intuition de ses amis surréalistes selon qui la poésie « change la vie » comme l'avait voulu Rimbaud, et qu'on peut tenter de réconcilier les contraires, comme l'avait dit André Breton dans le Second manifeste du Surréalisme : « Tout porte à croire qu'il existe un certain point de l'esprit d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l'incommunicable, le haut et le bas cessent d'être perçus contradictoirement. Or c'est en vain qu'on chercherait à l'activité surréaliste un autre mobile que l'espoir de détermination de ce point. » Ainsi René Char dépasse la distinction entre poésie et monde réel (« la réalité ») comme il dépasse aussi la séparation entre poète et résistant.
À partir de ce constat, on peut faire l'hypothèse que le poète, après cette tentative sublime, est ramené au stade du sordide, du danger, de la barbarie de « l'abjection nazie » parce qu'elle celle-ci « ruine son exposé », car son champ de ruines total et totalitaire écrase à la fois la poésie, en tant qu'il détruit la langue par son style idéologique totalitaire codé (« l'exposé »), et qu'il détruit également la « réalité » de la « vie ». Le nazisme pose effectivement un double défi tragique : à la fois à la fonction de la langue poétique, et à la dignité humaine, qui ne peuvent se sauver l'une et l'autre que par le choix concret, personnel et collectif, de la Résistance en acte. (Mais nous laissons ouvertes la possibilités d'autres hypothèses de sens).