lundi 31 août 2009

126 - Entre la réalité et son exposé...

Entre la réalité et son exposé, il y a ta vie qui magnifie la réalité, et cette abjection nazie qui ruine son exposé.

1 commentaire:

  1. Entre la réalité et son exposé, il y a ta vie qui magnifie la réalité, et cette abjection nazie qui ruine son exposé.



    1-Comment je ressens cela ? Quelles images mentales me sont évoquées, apportées, provoquées par cet aphorisme de René Char ?

    Une réponse possible de LD :
    Ici, pas d'images immédiate. Car le poète a employé des mots très abstraits. L'expression la plus forte est « cette abjection nazie », le mot abjection désignant un degré extrême et profondément méprisable de dégradation ou d'abaissement, en particulier dans le domaine moral. René Char n'a pas hésité parfois à employer le vocabulaire du vomissement et de l'excrémentiel pour dire son dégoût face au nazisme. Mais quelle serait l'image concrète qui nous viendrait maintenant ? On le sait : depuis la libération des camps nazis, l'image qui hante la conscience mondiale est celle de cadavres décharnés et livides et morts vivants, victime du système concentrationnaire et exterminateur hitlérien. Et René Char semblait avoir pressenti cette image insoutenable quand il avait écrit « La pyramide des martyrs obsède la terre »1. Mais il existe pour le poète une image plus familière, mais tout aussi redoutable, qui est celle de la tentation de se faire complice du nazisme : « la renonciation à visage de lâche, la sainteté du mensonge, l'alcool du bourreau »2 : ce sont ces trois moments emblématiques de la collaboration vichyste que nous retiendrons comme image concrète et vécue de l'abjection.

    2-Comment je comprends ce qu'a voulu dire René Char ? Mes hypothèses de sens.

    Une réponse possible de LD :
    Cet aphorisme est particulièrement difficile. Lorsque René Char distingue « la réalité » et « son exposé », il opère une distinction comparable à celle des choses et des mots, du signifié et du signifiant (comme disent les linguistes). Car c'est d'abord une préoccupation de poète de se préoccuper du langage, du dépassement presque impossible de la séparation entre la poésie et la vraie vie.
    Justement, la vie (la tienne, poète-résistant, ou la tienne, compagnon de lutte du poète?) « magnifie la réalité », ce qui veut dire à la fois qu'elle la célèbre, qu'elle l'exalte (fonction de la poésie), et aussi qu'elle l'agrandit, qu'elle la rend meilleure (fonction du résistant). Cette double tâche est donc bien « entre la réalité et son exposé ». C'est peut être ainsi que René Char retient l'intuition de ses amis surréalistes selon qui la poésie « change la vie » comme l'avait voulu Rimbaud, et qu'on peut tenter de réconcilier les contraires, comme l'avait dit André Breton dans le Second manifeste du Surréalisme : « Tout porte à croire qu'il existe un certain point de l'esprit d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l'incommunicable, le haut et le bas cessent d'être perçus contradictoirement. Or c'est en vain qu'on chercherait à l'activité surréaliste un autre mobile que l'espoir de détermination de ce point. » Ainsi René Char dépasse la distinction entre poésie et monde réel (« la réalité ») comme il dépasse aussi la séparation entre poète et résistant.
    À partir de ce constat, on peut faire l'hypothèse que le poète, après cette tentative sublime, est ramené au stade du sordide, du danger, de la barbarie de « l'abjection nazie » parce qu'elle celle-ci « ruine son exposé », car son champ de ruines total et totalitaire écrase à la fois la poésie, en tant qu'il détruit la langue par son style idéologique totalitaire codé (« l'exposé »), et qu'il détruit également la « réalité » de la « vie ». Le nazisme pose effectivement un double défi tragique : à la fois à la fonction de la langue poétique, et à la dignité humaine, qui ne peuvent se sauver l'une et l'autre que par le choix concret, personnel et collectif, de la Résistance en acte. (Mais nous laissons ouvertes la possibilités d'autres hypothèses de sens).

    RépondreSupprimer